Retour au Japon – Emas日本 #6

« S’incliner deux fois profondément et respectueusement. Frapper deux fois dans ses mains. S’incliner à nouveau une fois profondément et respectueusement. Enfin, s’incliner légèrement une fois avant de partir. »

Ainsi sont venues prier deux jeunes femmes, adeptes du shinto, la plus ancienne religion du Japon, devant la porte Karamon du sanctuaire Toshogu, dans le parc Ueno. Après s’être recueillies, elles sont allées se choisir une ema, えま, au kiosque du sanctuaire. Une ema est une petite tablette en bois, une offrande votive. Traditionnellement, les visiteurs des sites shintos y écrivent leurs vœux : bonne santé pour la famille, résolutions du Nouvel An, prières pour la réussite aux examens, c’est au choix. Ensuite, ils les accrochent à un support spécial, en espérant que leurs vœux seront exaucés. Dans l’allée qui mène au sanctuaire, une ribambelle de emas sont suspendues et alignées dans de longs présentoirs. Toutes ne portent pas des vœux en japonais…

Les adeptes du shinto vénèrent les kamis, かみ. Ce sont des esprits liés à des forces naturelles comme le vent, les rivières et les montagnes. Je me prends à rêver de rencontrer les kamis du Mont Fuji…

(… à suivre)

Retour au Japon – Gym en plein air 日本 #5

Sur une large esplanade du Parc Ueno, j’aperçois un groupe de gens en rang d’oignon, en pleine séance de gymnastique. Rythmée par une petite musique qui sort d’un baffle portatif, la voix d’un homme semble réciter des mantras. Je ne reconnais pas la sonorité du japonais. Pardi ! C’est du chinois. Toutes et tous sont des adeptes du Falun Dafa, ou Falun Gong. Ce mouvement est né en Chine. Il mescle le bouddhisme, le taoïsme et le Qi Gong chinois et met l’accent sur la méditation et la pratique de mouvements lents et souples. Face à moi, la plupart des pratiquants semblent avoir dépassé la soixantaine. Le côté austère de leur ballet m’évoque un peu la discipline militaire. Les visages sont fermés, tristounets. Rien à voir avec l’allure harmonieuse des pratiquants du Taichi en plein air rencontrés il y a quelques années en Chine. Et encore moins avec les joyeux balètis improvisés des dimanches après-midi dans les parcs de Shanghai, sur de la musique latino.

(à suivre)

Retour au Japon – Des cris 日本 #4

Rien ne dit
dans le chant de la cigale
qu’elle est près de sa fin

Bashō

À peine dix heures du matin et déjà les cigales donnent de la voix dans le parc Ueno. L’occasion d’apprendre à dire en japonais  » On entend les cigales chanter  » : せみのなきごえがきこえる,  » Semi no nakigoe ga kikoeru « . Semi, せみ, la cigale, facile à retenir. Je ne l’oublierai pas celui-là. Nakigoe, なきごえ, plus compliqué à mémoriser. Il signifie davantage sanglot, cri, que chant.

Soudain, d’autres cris me parviennent d’au-dessus de l’une des allées proches du sanctuaire shinto Ueno Toshogu. J’aperçois fugacement une femme près d’un petit bâtiment blanc. Elle tente de se cacher derrière des arbustes, près d’une grande bâche bleue, d’une autre noire et de cartons. Ce doit être sans doute son logis. Vit-elle seule ? Il me semble avoir entendu plusieurs voix surgir de là-haut. Je sais qu’à Tokyo, les sans-abris* survivent dans les parcs, les gares et près des berges du fleuve Sumida. Des associations se mobilisent dans les quartiers pour les aider mais le phénomène persiste. La précarité a gagné du terrain depuis 20 ans au Japon. Les femmes et les personnes âgées en sont les principales victimes.

* En japonais, sans-abri se dit のじゅくしゃ, nojukusha, personne qui vit dehors. Plus communément, on dit  ホームレス hōmuresu, dérivé de l'anglais homeless.

(à suivre)

Retour au Japon – L’éventail pop 日本 #3

Jetlag oblige, je me suis réveillé tôt. À peine le nez dehors, sensation de respirer dans un sauna. 30 degrés à l’ombre dès le petit matin, humidité au taquet, j’avance en fredonnant Ò que calor, la chanson de Moussu T. En nage, forcément, après cinq minutes de marche vers l’immense Ueno Kōen, うえのこうえん, l’un des plus anciens parcs publics du Japon. C’est au printemps qu’il est le plus fréquenté, pris d’assaut même fin mars début avril, lorsque les Japonais viennent en famille bader les cerisiers en fleurs, les sakura, さくら. Rien de tel en été. Les centaines de cerisiers attendent leur heure. Au détour d’une allée, un kiosque à boissons et bibelots me tend les bras . – De l’eau s’il vous plaît ! お水をください! La marchande est souriante. Je suis son premier client de la journée. Comme je lui prends deux bouteilles, et pour me remercier de dire trois mots en japonais, elle m’offre un éventail en plastique à l’effigie du groupe de J-Pop, Juliana no Tatari. Avec elle, nous écoutons en rigolant un titre sur mon téléphone. La J-Pop n’est pas trop ma tasse de thé, mais le côté déjanté de la vidéo ne me déplaît pas. Je découvre que ce style musical est associé à la culture pop japonaise des années 80-90 qualifiée de « bubbly », pétillante. L’ambiance festive évoque des clubs comme Juliana Tokyo, où la dance music et les looks flashy dominaient. Il faudra que je me renseigne sur ce que signifient leurs chansons. En attendant, je remercie la dame, どうもありがとう!, et file me mettre à l’ombre, une troisième bouteille en réserve dans le sac à dos.

(à suivre)

Retour au Japon – Suzumushis et origamis日本 #2

À la sortie de Ueno Station, je me joins à quelques spectateurs qui font face à un chanteur de rue à la voix aigüe. Il s’est installé devant son synthétiseur, près d’un chantier à l’arrêt, sous la voie ferrée. Le fond sonore ne le perturbe pas. Il fait chaud et humide. J’ai très soif. Je ne m’éternise pas et pars vers le Parc Ueno voisin qu’il me faut traverser pour rejoindre mon auberge, appelée ryokan, りよかん en japonais. Dans les allées, le chant des grillons – les suzumushis, すずむし- m’accompagne. J’ai lu que c’est à l’approche de l’automne que leur petite musique résonne le plus et que les Japonais s’intéressent depuis des siècles au chant de ces insectes comme à celui des cigales. Il paraît qu’il n’est pas rare à Tokyo, vers la fin de l’été, de voir des gens placer quelques suzumushis dans une petite cage en bambou installée devant leur fenêtre et profiter de leur concert. Rien de tel dans mon ryokan. Le chant des grillons est moins présent dans ce quartier. En arrivant, je découvre sur une étagère des statuettes représentant sept Bouddhas, une petite poupée rieuse qui ressemble à un santon joufflu et de jolis origamis, おりがみ. Le sens japonais de l’accueil n’est pas une légende.

(à suivre)

Retour au Japon – Wataru 日本 #1

Dans le monorail qui relie l'aéroport de Haneda au centre de Tokyo, un petit garçon me fait face, assis sur une grosse valise métallique entre son papa et sa maman. Ils sont beaux tous les trois. Tout sourire, il m'écoute lui dire les tout premiers mots que j'ose en japonais : 
あなたはかわいいです! Tu es mignon !
Ses parents sont contents. Je lui demande son prénom. Il s'appelle Wataru. C'est doux à prononcer Wataru, avec ce "r" qui ressemble bien davantage à un "l". Wataru a quatre ans. Il habite le nord du Japon. Avant la rentrée des classes, il vient passer quelques jours à Tokyo. Peut-être chez de la famille ou des amis. Ses parents ont pris quelques sacs avec des cadeaux dans leurs bagages.
Le train ralentit. Hamamatsucho Station en approche. Je vais descendre là et prendre une autre ligne.
Wataru me sourit encore et me lance :
なんさいですか?Quel âge as-tu ?
Comme j'ai bien révisé, je réussis à lui dire que j'ai 70 ans.
Encore une petite demi-heure de trajet et j'arriverai à Ueno Station.
Il est 20 heures. 7 de moins en France. Plus d'un jour plein de voyage.
Un peu décalé mais hâte de me retrouver au grand air dans Tokyo où je n'étais plus retourné depuis douze ans. (à suivre)

Karim Attab, la voix de l’Ohème

Il me fait penser aux journalistes des radios espagnoles, Karim Attab, quand je l’écoute nous faire vivre les matches de l’OM sur Radio Maritima. Chaque semaine, au Vélodrome comme à l’extérieur, ses commentaires sont un savoureux cocktail d’expertise, de passion, de rythme, d’enflammades, avec un bel accent marseillais et un sens de la formule qui touche juste. Karim Attab connaît bien le ballon et aime l’OM, ça s’entend. Il est précis quand il décrit les actions, c’est précieux. J’apprécie aussi que le Martégal n’épargne pas les Olympiens lorsqu’ils jouent comme des pébrons ou des viers marins, ce qui s’est produit quelques fois cette saison. Demain-soir, pour commenter le dernier match de l’édition 2024-2025, Karim prendra place en tribune de presse aux côtés de son complice-consultant Jacques Bayle, alias Jacquot, qui me régale lui aussi, entre autres car il est plein d’estrambord. OM-Rennes au programme. Dans un Vélodrome en fusion qui à nouveau rimera pour de bon avec Ligue des Champions.

Médé, c’est mon gâté

Je me pince encore, oui. C’est que je n’en suis pas encore revenu de la nouvelle apprise hier-soir peu avant le Motchus de minuit. Le mot Gâté, ée vient de faire son entrée dans le nouveau dictionnaire 2026. Pas n’importe lequel, non. Pas celui bien moisi de l’Académie française, non. Gâté, ée figure désormais dans le Petit Robert, siouplé. Mon ami, notre ami Médéric Gasquet-Cyrus n’y est pas pour rien bien sûr. En sociolinguiste spécialiste entre autres du parler provençal et marseillais, il participe à la rédaction du Petit Robert et il est de longue à l’agachon sur l’évolution de notre langue, ses acccents, ses trésors, ses influences nouvelles, sur tout ce qui fait qu’elle s’enrichit, se transforme, et ainsi se transmet avec estrambord de génération en génération. Gâté, ée fait partie de ces mots familiers avec lesquels nous autres Marseillais exprimons notre amour ou notre affection à nos proches. Autre immense surprise hier-soir. Pour illustrer Gâté, ée, dans le nouveau Petit Robert 2026 – oui, vous avez bien lu – Médé a choisi cette citation :

Incroyable ! Médéric est allé trouver une phrase extraite de Du miel au bout des doigts, l’une des 13 nouvelles noires publiées en 2013 dans mon recueil Marseille rouge sangs. Ma gratitude est immense, surtout au nom de mon père, Paul James Schulthess, qui était un grand amoureux des dictionnaires et des citations. Il aurait été tellement fier de découvrir celle-ci, accompagnant ce mot qu’il utilisait parfois dans le sens de « faire gâté », faire un câlin. Mon papa fut instituteur de la République, dans notre quartier d’Endoume à Marseille. J’ai la chance de l’avoir enregistré me raconter qu’il avait bien failli ne jamais le devenir.

Médéric est aussi un homme de radio. Tous les matins, il propose une chronique sur Ici Provence : « Dites-le en marseillais ». C’est instructif, documenté, érudit et souvent très drôle. Bref, de la régalade.

Motchus, oh fan, déjà 1200 !

Douze cents ! Y’a rien là ? En faisant mon Motchus hier-soir peu après minuit, j’ai réalisé que c’était la douze centième fois que je m’adonnais à ce jeu de mots marseillais, tout comme un moulon de valables de par le monde et la planète entière. Alors, je me suis amusé à griffonner ce petit poème qui ressemble à pas grand chose mais qu’il me plaît de partager.

Oh fan, déjà douze cents

Douze cents Motchus à deviner
À découvrir, à réviser
Douze cents mots du parler d’ici
Teintés de provençal ou d’italien, pardi

Oh fatche, déjà douze cents
Douze cents motchus à goûter à voix haute
Des mots qui rappellent l’enfance
Des mots bijoux, des mots grossiers
Des mots rares, des mots oubliés

Tè vé, déjà douze cents
Douze cents Motchus à savourer
Des mots à transmettre, à partager
Des mots pour chaque jour célébrer
Notre patrimoine marseillais

Aïoli sur vous, Denis, Médé
Déjà douze cents jours que vous offrez
Esquiche teston et rigolade
Estraïques ou estramassade
Merci beaucoup et siouplé
N’arrêtez pas de nous faire Motchuser !

La musique qui accompagne les mots dans mon petit montage sonore, c’est l’intro de  » Les Rivalités « , la première chanson du nouvel album de Chichi et Banane, les poètes musiciens de la Ciotat. Je ne sais s’ils jouent à Motchus, mais les mots, ils savent les faire chanter. Pas vrai ?

Le merle et l’angélus

Pas la fête du travail le 1er mai, non. C’est la fête des travailleuses et des travailleurs. Comme chaque année, au premier jour de mai, je pense à mon Pépé Paul, travailleur de toute une vie. De pontonnier à Zürich à chauffeur-livreur chez Savons-Frères à Marseille, d’horticulteur dans l’arrière-pays niçois à ouvrier agricole à Gèmenos, il vendit sa force de travail et lorsqu’il prit sa retraite, dans les années 70, il passa beaucoup de temps à se rendre sur les chantiers de la ville pour regarder les travailleurs travailler. Il y a 9 ans, le 1er mai 2016, j’évoquais sa mémoire sur sonsdechaquejour.com, en écoutant le concert offert par une église et un merle.

Il suffit de s’asseoir là
lorsque le jour résiste fort encore
au surgissement attendu de l’obscur
s’installer dans la lumière et guetter l’angélus
qui sonne le retour du calme
même pour ceux qui n’entendent rien du tumulte du monde
de jour comme de nuit

de mai à avril et d’avril à mai
se laisser absorber par ces cloches qui sonnent aussi le retour des champs
elles chantent même pour ceux qui n’ont jamais travaillé la terre
jamais semé, jamais récolté
jamais vendu leur force pour un plat de lentilles
s’asseoir là dans avril qui se meurt
et sourire au merle posé en face sur la murette
pour un concert à la mémoire des paysans

me revient l’odeur de mon grand-père de retour des vignes
des arbres fruitiers
des plants de tomates et des sillons à patates
il sentait la sueur et la terre et le bois et l’herbe
il sentait la force de travail louée jour après jour
l’angélus pouvait sonner dans le lointain
il travaillait jusqu’à la nuit noire

perché sur le balcon d’en face
il y avait un merle déjà
s’arrêtait de chanter lorsque Pépé allait se coucher
de mai à avril et d’avril à mai
et même le 1er